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Nieve Vieja



"Ce doit être par là... Il y a un passage. Les petits signaux s'intensifient.

On grimpe depuis une heure...


Mon réveil fut assez difficile en réalité, et je commence à avoir faim...

La pente est presque à 100%. Les petits cailloux arrachés par les roues crantées du scarabée s'envolent comme une éruption voluptueuse autour de l'engin, pour finir par se déposer au bout d'une chute lascive de 200m tout autour de mon ASP endormi plus bas. On s'accroche: 70%. Le signal est toujours fort, la pente un peu moins.

J'ai grimpé assez vite. Le scarabée peine et je fatigue tout pareil. La faim sans doute. Un petit palier, une plateforme presque horizontale à tribord me permet une pause. Je m'engage. Je stoppe le moteur face à une géante gazeuse bleue-mauve et ses anneaux grisâtres à l'allure d'un canotier.

J'en profite pour passer le lacet de cuir autour de mon casque, l'enfiler autour du cou. j'admire le pendentif encore une fois, la griffe incrustée, les gravures étranges sur les métaux précieux du socle-médaillon, les cristaux rares multicolores qui forment une voie lactée autour de l'ongle félin...

Simultanément, un peu de lumière vient écorcher près de moi, un morceau de la paroi sinistre, dans l'atmosphère languide et immobile de la fosse. Moins précieuse que les métaux rares de mon joyau, une veine de polyèdres de Pyrite se met à suinter de petites étincelles lumineuses d'une dorure pâle, juste au dessus de la vitre du scarabée...".....


... Le jour de l'audition, Hans vint en personne nous accueillir dans le hall de l'école. Il portait une combinaison de pilote bleue et argent qui révélait un corps musclé. Les cheveux mi-longs, châtain clair accrochés dans le dos; moustaches et barbichette entouraient son sourire charmeur, doux, accueillant, presque rassurant, sous ses éternels petits carreaux violets surmontés de fins sourcils aux formes espiègles.

D'un geste élégant, presque gracieux, il fit signe à notre petit groupe de le suivre. Il emprunta un couloir pavé d'ambre dont les parois de neige étaient ornées d'œuvres originales de Stark, de plans précis de vaisseaux spatiaux dernier cri, ou d'étonnants engins planétaires aux lignes racées. Les images holographiées de mon enfance...

Au bout du conduit, il n'y avait qu'une issue. Une seule porte au dessus de laquelle on pouvait lire:


Fermions, Bosons et Harmonies Atomiques

- Clefs Cosmiques 113 -

Anatomie des Tessitures spatiales

et juste en dessous:

- E.S.M.S. 3265, module R.O.B.I.N. ED01 -

Pr. Hans Karasov

A droite de l'entrée encore, était accroché le portrait d'un vieil homme, assez corpulent et au visage rond, au regard vif et perçant les yeux bleu ciel, vêtu d'une combinaison de pilote semblable à celle de Hans, mais toute argentée celle-là, comme ses cheveux bouclés et sa barbe fournie. Une petite plaque indiquait:


W.W.A. Dräger - 2762-2875 -

("La Folle Aventure des Fermions ")

- E.S.M.S. 2780 -

Promotion Platon

Le professeur nous fit tous entrer et nous plaça au centre d'une immense pièce toute ronde, toute blanche, sous un immense dôme.

Tout à coup le sol s'éclaira et une incroyable mosaïque de couleurs apparut à nos pieds. Le sol vibrait un peu. Dans un silence absolu, l'image de cet étrange vitrail déformait tous les corps dans la pièce. Les projections colorées se tordaient contre la voûte au dessus de nos têtes, très haut. Son allure de "danse floor" nous faisait sourire, c'était nerveux. Puis les morceaux de couleur commencèrent doucement à se déplacer. Ils s'organisèrent rapidement en d'étranges figures géométriques tout autour de nous. L'intensité des vibrations augmenta sensiblement, puis le kaléidoscope s'arrêta, aux bout de deux ou trois minutes. Chaque candidat était entouré d'une figure géométrique de forme et de couleur différentes.

Hans nous demanda d'approcher et de l'encercler. Les motifs nous suivaient. l'épreuve allait commencer.

Il posa ses mains ouvertes contre le sol, les doigts écartés, se figea ainsi presque une minute, et se redressa d'un coup! Nous tressaillîmes !

Puis il se mit à prononcer un discours si étrange ... Je m'en souviens un peu:




"... Soyez sur vos gardes! Tous les sens éveillés!

... Observez, communiquez!....

...

... Au cours de cette épreuve vous croiserez une lumière qui vous éclairera avec bonheur, malgré elle, ou malgré vous!... Une sorte d'astre tout simplement organique, ou bien cybernétique, ou un peu des deux à la fois!...

...

Préparez-vous!... Mesdemoiselles, Messieurs, à découvrir quelque chose ou quelqu'un, rayonnant d'intelligence et pourtant si discret, presque furtif même, qui déambule aléatoirement dans vos existences et celles de vos parents depuis les origines, dans toutes les dimensions de l'espace et du temps!...

...

Soyez rapides, vifs, imaginatifs, apprenez au plus tôt à reconnaitre cet élément essentiel et grandiose, énigmatique, pour l'instant. En toute hâte il vous faudra vous l'approprier, promptement, et le rajouter illico au panier percé de vos paradoxes humanoïdes si nécessaires à votre lente métamorphose, à votre évolution cataclysmique!...

... Dans le déballage intersidéral qu'on vous propose aujourd'hui, jeunes gens!... Saisissez, décodez efficacement!... Les informations itinérantes dont vous disposez sont vagabondes encore, presque perdues, ne leur laissez pas le temps de disparaitre!...

... Sitôt interprétées et enregistrées, précipitez-les à la surface du Cosmos, donnez enfin de la consistance au vide de l'Univers, faites qu'il résiste à vos futures errances catastrophiques, faites de tous les incidents ou des chaos que vous préparez, des ricochets à sa surface!...

Et enfin repérez le rythme, les fréquences, les périodes, le chemin sinusoïdal unique que traceront les fameux rebonds désastreux dans ce néant, et rendez-vous victorieux au milieu des infinies merveilles catastrophiques du cosmos, où nous nous retrouverons pour célébrer votre succès....

Sachez encore, jeunes gens!... Avant de vous lancer, que les "lumières", ces "artefacts existentiels" que je vous demande de découvrir aujourd'hui, sont de précieuses sources d'énergie, seules capables dans tout l'Univers, en son entier, d'établir une liaison parfaite juste et sans contrainte, sans obstacle synaptique aucun, entre le cœur et le cerveau, la raison et les sentiments...

... Elles sont extrêmement rares. Elles sont une chance unique vous le verrez à l'issue de l'épreuve. Ne vous en éloignez jamais; un seul de leurs rayons s'il vous atteint, transforme pour toujours votre existence.....

... Et puis finalement, pour ceux qui vont échouer ou se perdre, n'ayez aucune crainte: suivez tout simplement les ondes.; celles-ci vous mèneront de côté bien sûr, mais au moins vous vivrez dans le calme et la paix.

Quant aux plus forts, exhalant de triomphe, ils doivent se préparer au combat, aux frustrations et aux malheurs, à la tristesse abyssale, à l'angoisse, au froid et à la solitude, à la peur, à frémir au bruit des pleurs et des cris, aux blessures au vacarme des guerres et des combats, à de grands malheurs et à des peines immenses.

Leurs existences seront désormais périlleuses, catastrophiques, dangereuses: Ils seront devenus nos nouveaux gardiens..."


...

C'est donc par ce discours emphatique et pompeux, et cette étonnante chorégraphie géométrique et colorée, que Hans Karasov nous avait reçu ce lundi 21 septembre 3265, à l'épreuve de la "Muspa". On avait tous eu très peur... Tout de suite on avait compris qu'il était un peu dérangé... On commençait à regretter: nous avions tord.

...


... C'est aussi ce que s'était dit mon père voilà plus de 64 ans, lorsqu'il était arrivé dans Sol, sur Terre, au pied de la plus haute montagne de l'ancienne Patagonie chilienne: "el Monte San Valentin". Un travail colossal l'y attendait, mais tout avait été préparé dans l'urgence, la précipitation. S'il n'avait pas eu autant de dettes sur Ethen, jamais il n'aurait accepté cette mission, dangereuse de surcroit. Mais les contrats étaient déjà plutôt rares à l'époque et il était jeune, et il lui fallait cet argent... " d'une improvisation dangereuse et irresponsable!"... Avait-il Grogné sans cesse depuis son départ...


La dramatique montée des eaux, il y a plus d'un millier d'années, avait noyé une bonne partie des fjords de Patagonie. La puissante montagne qui se dressait devant lui atteignait péniblement un peu moins de 3800 mètres d'altitude désormais. Autrefois éloignée de la lagune Saint Raphaël par plusieurs dizaines de kilomètres de glacier, la montagne était devenue accessible directement par l'océan.

Mon père était là pour récolter des informations et établir le scénario de ce que les habitants de cette région, une micro société appelée les Yagan-X07i, avaient nommé au XXIIème siècle le "Grand Départ". Personne n'était venu ici depuis leur exode et leur disparition. Plus aucune âme qui vive; sauf quelques couples de petits renards à écailles de Magellan qu'avait déjà repérés le zoologue de l'expédition à son arrivée. la plage jonchait de leurs carapaces vides, de leurs queues caoutchouteuses après la mue...


Il fallait donc étudier minutieusement les nombreux vestiges abandonnés contre la montagne toute seiche par les Yagan-X07is. Il y avait beaucoup de travail, et pour plusieurs mois sans doute, d'autant que les conditions météorologiques étaient vraiment très difficiles: Les vents puissants qui dévalaient fréquemment la Cordillère des Andes pouvaient atteindre les 350 ou 400km/h, voire même plus! Il y avait énormément de pluies acides et des périodes de fortes radiations selon les saisons... les températures atteignaient des extrêmes, dans les deux sens, et les brusques variations d'un extrême à l'autre en moins d'une minute pouvaient s'avérer fatales pour les hommes.

Depuis l'atterrissage du vaisseau-laboratoire, ils avaient noté un phénomène étrange qui faisait s'élever fréquemment, jour comme nuit, indépendamment des marées, pendant quelques secondes , léviter véritablement, galets et graviers un à deux mètres au dessus du sol, au bord de l'eau acide du Pacifique puis les laissait retomber d'un coup. La seule chose qu'ils savaient, c'est que ce phénomène était lié aux variations de température. D'éminents chercheurs dans l'équipe s'étaient déjà mis à l'ouvrage. Heureusement pour eux, l'atmosphère nocive du sud pacifique avant 3240 les obligeait à porter des casques en permanence, ce qui leur avait évité des bosses intempestives...


Mais l'objectif de la mission était double: d'une part oui, il fallait étudier cette ethnie, les Yagan-X 07i; mais surtout, les ordres des généreux mécènes mandataires étaient de prospecter la lagune engloutie sous l'océan Pacifique, à l'embouchure de l'ancien glacier Saint Raphaël.

Pour cela, l'utilisation d'un équipement spécifique avait été nécessaire, puisque les eaux étaient fortement acides en surface, traversées à différentes profondeurs par de puissants courants sous-marins dangereusement alcalins. Yan et ses collègues essaieraient malgré toutes ces difficultés, d'établir une carte de ces courants. Il tenteraient de comprendre leur origine.

Les radiations importantes tout le long de la côte limitaient les expositions en surface et la durée des sorties. Tout était compliqué. il leur manquait du matériel et la liaison avec la base en orbite était très mauvaise. D'ailleurs leur mécène avait également suggéré qu'il eut été opportun de comprendre d'où provenaient les émissions hertziennes qui perturbaient toutes leurs communications avec la Terre de Feu et leur plateforme de prospection, "Ile des Pétrels" basée en Antarctique.


Steven, le géophysicien ami, de tous les combats, était venu expliquer et interpréter les mesures magnétiques et électriques des derniers équipements dont disposait mon père.

Yan, vingt ans à peine, déjà une sommité en archéologie. Il était coincé là, pour une année toute entière, si tout allait bien, avec une poignée d'autres savants tous aussi fous que lui, aux pieds de cette montagne autrefois enneigée, désormais couverte d'un épais manteau sec de quartz et de calcite. Les scanners de Pébroque révélèrent rapidement la présence du village des Yagan-X07i et de leurs taudis délabrés plusieurs dizaines de mètres sous terre. Des huttes composées de pierres taillées et de nappes de polymères récupérées sur les carcasses des nombreux ballons stratosphériques présents à l'époque dans cette région du globe, il y a mille ans.

L'un des membres de l'équipe, un dénommé Julio, savait qu'un de ses ancêtres était né ici, avant le "Grand Départ". Le type était tout petit, 1m50 à peine aussi épais que haut. Ingénieur électronicien, il était là pour la sismologie et la maintenance de certains appareils. mais aussi pour expérimenter un "hongueur plasmique " capable de scanner jusqu'à 1 350 000 kilomètres... Un monstre à l'époque!

Toujours selon les ordres de ses "mécènes", Yan devait l'utiliser pour explorer la Baie de Saint Raphaël.

Le "petite cube", comme disait papa, devait forcément collaborer avec le filiforme prof Steven, alias Pébroque, et leur association ne manquait pas de piquant! L'équipe s'amusait bien à les monter l'un contre l'autre et assister, comme au spectacle, aux âpres discussions, aux disputes même, entre le "fil de fer" tout pâle qui gesticulait et le petit homme tout chauve, tout rond au visage basané, qui rebondissait à chaque contrariété....


... Mille ans plus tôt, son ancêtre et les autres habitants de la petite ville de Ventisquero Clemente après une réunion dramatique, alors que les dernières neiges avaient disparu au sommet du "monte San valentin", décidèrent tous ensemble d'utiliser les derniers polymères et les dernières sondes récupérées pour construire une arche immense et abandonner Ventisquero Clemente.

Ils reprirent la vie de nomades des anciens Yagan, pendant plusieurs siècles, autour de l'archipel qu'ils renommèrent "Nieve Vieja", la Neige Ancienne... Puis disparurent ...


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