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La MuSpa



Hans travaillait officiellement pour l'École Supérieure en Musicologie Spatiale, l' E.S.M.S., section Résonances Orbitales, Balises soniques et Interférences cristallo-harmoniques des Noyaux siliceux et carbonatés. On disait la "R.O.B.I.N.".

Le reste du temps, il parcourait la galaxie, volant de système en système, de conférences en symposiums, de congrès en forums, invité, de-ci de-là, toujours en quête de plus de crédits pour financer ses recherches.

C'était un petit homme à la voix douce, la quarantaine, cheveux châtains, un visage fin traversé par une paire de lunettes aux montures fines et chromées sur lesquelles étaient fixés deux petits verres ovales teintés de violet; le tout surmonté de sourcils en accent circonflexes. Je ne me souviens plus de la couleur de ses yeux et si même il en eut derrière ses épais carreaux sombres. Sa bouche n'avait presque pas de lèvres. Autour, il entretenait une petite moustache et une barbichette à la Hồ Chí Minh, coquetterie idéologique peut-être, qui prolongeait son menton.

C'était une éminence grise très respectée, une lumière même disait certains.

Ses connaissances en Histoire étaient aussi très pointues et mon père, Yan, archéologue et historien réputé, qui donnait toujours un surnom aux gens qu'il aimait bien on l'a vu, l'appelait la "Mémoire vivante de l'Humanité": rien que ça!


Mises à part ses connaissances d'historien, scientifiques et musicales, ses responsabilités à l' E.S.M.S., son immense culture et son intelligence, Hans était surtout devenu célèbre dans toute la "Bulle Humaine" grâce à une théorie absconse, dite de la "Porte Harmonique", qui avait fait grand bruit lors de son énoncé. Il s'agissait, selon lui, d'une "passerelle unique" qu'il avait mise à jour, disait-il, "entre l'espace et le temps".

Mais la présentation de ses travaux à l' E.S.M.S. avait fait scandale. Certains de ses collègues disaient qu'il était fou, d'autres l'accusaient de charlatanisme, demandaient son renvoi, la plupart s'étaient moqués de lui, sortis de l'amphithéâtre en ricanant, et ceux qui y croyaient et voyaient du génie s'étaient battus dans les couloirs de l'école... La sécurité avait même dû intervenir pour calmer ou séparer tous ces savants effarouchés.


Les rumeurs sur ce personnage hors du commun allait bon train dans la galaxie. On allait jusqu'à dire qu'il fabriquait en secret une machine à remonter le temps pour le compte d'une faction, ou d'une société occulte réfugiée au cœur d'un mystérieux cluster. Lorsqu'on lui posait la question, il se contentait d'esquisser un petit sourire et de traiter son interlocuteur d'illuminé.

Il admettait cependant construire un nouveau type d'"instrument", "en rapport avec la Porte harmonique" précisait-il.

Mais on n'en savait pas plus.

Des années qu'il y travaillait. Il possédait d'ailleurs son propre laboratoire en dehors de l'E.S.M.S. Mais personne n'avait jamais eu accès à ses ateliers. D'ailleurs personne ne connaissait non plus l'emplacement des laboratoires, ni son domicile, ni son système d'origine ou bien même s'il avait des parents, une famille.


Son histoire étrange rappelait un peu celle du héros d'un conte traditionnel de William Walter Archibald Dräger, héritier du célèbre musicologue allemand de la fin du deuxième millénaire.

W. W. A. Dräger, était un des plus grands "polgorithmètes" de tous les temps. "Polgorithmète" étant un mot porte-manteau pour "poètes de l'algorithme", inventé et officialisé en 2832 pour célébrer le millénaire de la naissance de Charles Dodgson.


Dräger avait, plus de trente ans plus tôt, programmé une extraordinaire fable, dans les années 2800, pour sa fille unique qu'il chérissait.

Un récit onirique, devenu un "classique" des logithèques pour enfants, intitulé "la Folle Aventure des Fermions", dans lequel un jeune homme venu de nulle part lui aussi, fabriquait en secret, tout comme Hans, une étrange machine composée uniquement d'énergie et de gaz, pour pouvoir parcourir le cosmos et le temps avant la naissance même de la lumière, réaliser des exploits extraordinaires dans un univers sans couleur et sans forme. Le programme de Dräger gérait des galaxies comme des personnages à part entière, et les transformait simultanément en attributs d'opérations algorithmiques capables de créer le héro lui-même d'une part, et d'autre part en applications de gestion de l'environnement du vide absolu, nécessaires à toute l'épopée du héros.

Le programme créait ainsi une infinité de boucles dans le cosmos, des images sans lumière sans forme, une organisation du vide qui rendaient le récit unique, laissant le choix au héro à la fin, de se confondre ou pas, à l'aréopage galactique...

J'ai la chance de posséder une édition originale, unique, de cette application; très bien conservée et magnifiquement illustrée de superbes hologrammes à partir des œuvres de Jen Stark. Mes parents s'étaient sacrifiés pour m'offrir ce précieux programme étant enfant. et je pouvais déchiffrer des algorithmes uniques réalisés de la main même de W.W.A. Dräger à l'époque. Il n'en existait pas de semblable dans toute la galaxie.

Comme beaucoup, je n'avais pas bien compris l'aventure des fermions. Mais les algorithmes étaient si parfaits et si beaux que tous les enfants les adoraient!

Cette œuvre enfantine, je l'ai encore; et c'est grâce à elle que j'ai pu, comme les jeunes de mon âge à l'époque, créer mes premières I.A.

C'était magique!


Rentrer à la "Muspa" (c'est le petit nom que les étudiants donnaient entre eux à l'école de musicologie spatiale) était un passage obligé pour profiter des cours de Hans. Une fois le diplôme "R.O.B.I.N." en poche, on pouvait demander un financement auprès de l'E.S.M.S pour accéder aux équipements de recherche, et rester vivre entre 18 et 24 mois dans les quartiers du laboratoire Otto Shumann et profiter un peu des connaissances de la "Mémoire vivante de l'Humanité".... Hans.


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