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Sauvé?

2 minutes...

-" Entamé par le froid intense, mon corps me fait atrocement souffrir. Jamais je n'aurais imaginé être capable de supporter une telle douleur. Le seul moyen que j'ai trouvé pour m'aider à ne pas m'évanouir, c'est de retirer mon précieux collier, l'enrouler autour du poignet, serrer son pendentif dans mon poing droit aussi fort que possible, jusqu'à presque me blesser la paume...


Soudain, deux sons graves, sourds, suivis de deux piaillements stridents envahissent l'habitacle.


-"L'I.A. se réveille?!... C'est pas vrai!?..."


Au bout de quelques secondes les sifflements aigus se taisent. Une lumière douce, paisiblement, traverse la vitre blanchâtre. Je réussis à distinguer mon poing crispé à l'intérieur et, entre les cristaux bleutés contre la vitre, un peu l'extérieur même du vaisseau.

L'ocre est devenue beige. Les crevasses marron virent subtilement à l'orange pâle, le sol est devenu verdâtre et se tache peu à peu de pierres mauves et rouges. Face à moi , les masses d'eau étincelantes suintent jusqu'au sol, regèlent immédiatement à son contact, et célèbrent un quelconque solstice par des dizaines de petites explosions de cristaux lumineux qui rebondissent et se déposent sans gravité, ou si peu, entre les graviers de couleur; des veines d'or et d'argent apparaissent dans la falaise, forment d'étranges serpentins luisants accrochés aux parois. Toutes les ombres se rétractent, comme une armée ignoble en déroute. Peu à peu la lumière gagne la bataille et la crevasse se transforme en vallée.

Mais les cloisons de la cabine commencent à ruisseler. Allons-bon!?...

C'est vrai qu'il fait meilleur.

Certaines commandes se rallument!?...

Oui! C'est ça! Merveilleuse I.A. qui clignote ses petites diodes malines. Je pourrais descendre le SRV peut-être? Peut-être Je pourrais enfin prospecter le nickel qui me manque pour approvisionner le M.A.E, et espérer ainsi m'extraire de cette hypogée que je m'étais creusée tout seul?

Alors, finalement, cette maudite étoile et sa planète révolutionnaire auront eu pitié de moi?

La boule de feu s'est installée au bout du canyon. Son drôle d'œil m'intimide, ses rayons m'éblouissent et me bluffent, réchauffent le vaisseau, l'I.A. et mon corps ratatiné qui se répare peu à peu.

Je suis si faible après cet effort.


1 minute 27 secondes.... 26, 25, 24...


Les commandes vocales sont-elles opérationnelles?

- On descend le SRV?"...

- Bonjour commandant... Déploiement SRV en cours"...

Ca marche! Je suis transféré dans le véhicule, je descends!

Me voilà parti. Presque libre et sauvé, je m'écarte du vaisseau mais m'arrête rapidement, épuisé, exténué, après quelques mètres seulement. Il fait si bon dans le module. Je décide de m'endormir à cet endroit, tout en sachant qu'au réveil, il sera impératif, vital même, de préserver l'intégrité de la machine et économiser le carburant lors de mes recherches. Je n'ai pas le droit à l'erreur. Le temps ne compte pas, alors autant se reposer. Pourvu que je tombe rapidement sur le bon filon?!

J'ai encore des munitions, et le radar fonctionne. Je suis paré.


Je m'abandonne ainsi, dans les bras de Morphée, aux commandes du SRV, tout près du vaisseau, bercé par les petits chants de batraciens des minerais détectés par la machine, à bâbord..."......................


Mon père était en service le jour de l'audition sur Mitra. Il travaillait sans cesse depuis la disparition de ma mère.

En plus de son boulot, deux ou trois fois par semaine, il allait rendre visite à Steven à la clinique sur Reamy Dock. "Pèbroque " n'avait plus de famille sauf nous trois je crois, alors c'était mon père seul qui prenait soin de lui.


Mais cette semaine était spéciale pour nous deux, forcément.

Maman l'attendait avec impatience depuis que nous avions trouvé refuge dans ce système. On l'avait sacrément potassé, ce fameux concours, ressassé, répété, préparé, encore et encore, tous ensemble, depuis notre arrivée. Après le drame de Proxima, mon père avait continué seul encore, à me soutenir, et on peut dire qu'un échec n'était pas envisageable.


La dernière semaine, il avait pris son weekend pour superviser mes dernières répétitions. Il n'irait pas non plus voir son ami dans Ethen pendant la période de mes examens.

Il m'avait beaucoup aidé, son soutien m'était précieux, surtout ces derniers jours. C'était bien qu'il soit là, et pour maman aussi. Il se disait confiant, tentait de me rassurer au mieux, répétant, trop souvent, qu'il n'y aurait "absolument aucun souci", que "je réussirais haut la main, ce n'était qu'une formalité"... Ses remarques étaient devenues comme un bourdonnement dans ma tête, je savais bien qu'il n'y aurait aucun problème; mais il angoissait tant et je l'aimais pareillement, alors je le laissais radoter, et je le rassurais à mon tour, comme je pouvais, selon l'instant.


Il était si stressé ce lundi matin, qu'il en avait oublié le pendentif de ma mère, sur la table de la cuisine, avant de se rendre au spatioport. Il ne s'en séparait pourtant jamais.

C'était un petit fossile qu'il avait rapporté d'une expédition dans Sol, longtemps avant ma naissance. Steven en était, bien sûr. A leur retour, pour l'offrir à ma mère, il l'avait confié à son ami qui connaissait un vieux joaillier de l'Alliance, orfèvre de renom, qui pouvait en faire un bijou d'exception. Et effectivement, l'artiste l'orna, avec toute sa maitrise et son talent, de petites pierres extrêmement rares finement ciselées et de métaux précieux, pour en faire une œuvre unique et magnifique que toutes les femmes allaient jalouser.

Je ne me souviens pas avoir embrassé ma mère sans caresser de la joue ou des lèvres le petit lacet de cuir qui le retenait à son cou.

Il n'aurait jamais dû le quitter.. et pourtant...


Lorsque mon père rendit visite pour la première fois sur son lit d'hôpital à Steven, peu après son sauvetage du drame de Proxima, il dormait paisiblement. Cependant, médecins et infirmières se plaignaient de ne pouvoir lui ôter un objet qu'il serrait dans sa main droite depuis son arrivée. Même endormi ou drogué, son poing restait fermé, et il était impossible de lui retirer.

Mon père reconnut instantanément le lacet de cuir entre les phalanges du savant. Il posa ses mains sur le poing de son ami, le scientifique aliéné se réveilla, ouvrit lentement des yeux en larmes, desserra enfin ses longs doigts maigres et tendit vers mon père le creux de sa paume incandescente où gisait le précieux collier de leur amie disparue.

Ce fut la dernière incursion de Pébroque dans le monde réel.

Depuis, mon père ne se séparait jamais du pendentif.

Ce matin là, étrangement, il l'avait laissé sur la table de la cuisine. Un oubli?

Je l'avais ramassé sans hésiter et passé autour du cou. Il m'accompagnerait à l'audition: un fossile trouvé sur Terre, en Patagonie, aux pieds du mont Saint Valentin, monté sur un petit disque sculpté d'or et d'argent et d'autres métaux précieux savamment répartis, entouré de pierres qui brillaient comme les étoiles dans la voie lactée, autour d'un croissant de lune: une griffe de puma.

Et je savais qu'elle me porterait chance...


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